Face à la menace écofasciste, approfondir la démocratie
CONTRIBUTION POUR LE CONGRÈS 2022 D’EUROPE ÉCOLOGIE LES VERTS
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· L’autoritarisme ne construira pas de société écologique
Les élections législatives de juin 2022 ont vu, avec 89 député.es, la formation du plus grand groupe parlementaire de l’histoire du Rassemblement national. Une étape supplémentaire est ainsi franchie dans la longue progression de l’extrême-droite. En France et dans le monde, son poids politique se renforce et ses idées se généralisent dans l’espace public. Face à cela, et le nourrissant en retour, la pratique du pouvoir se fait toujours plus autoritaire : répression violente des mouvements sociaux, aveuglement et impunité quant aux violences policières, décisions concentrées dans des Conseils de défense toujours plus restreints, extension permanente de la logique de l’urgence, atteintes répétées aux contre-pouvoirs… Dans cette dynamique infernale, la bascule de notre société dans un régime autoritaire voire fasciste n’est plus à exclure.
Pire, le développement de l’autoritarisme dispose encore d’un carburant largement sous-utilisé : sa prétention à pouvoir prendre en charge la question écologique. Les bases de cette pensée écologique autoritaire sont présentes depuis des décennies. Derrière ses nombreuses nuances, elle repose notamment sur :
- L’incapacité dénoncée des régimes démocratiques (par aveuglement, court-termisme, incompétence…) à faire face aux enjeux écologiques ;
- La nécessité postulée de conduire des politiques contraires aux libertés individuelles ;
- La tension entre une nostalgie du monde ancien à restaurer, incarné dans une nature préservée, et la volonté de création d’un ordre nouveau ;
Tant et si bien qu’il faudrait en apparence choisir : conserver la démocratie libérale et les libertés fondamentales ou éviter le mur écologique et mettre en place un régime autoritaire, plus ou moins technocratique, débarrassé d’institutions démocratiques d’un autre temps.
Face à ce discours, la responsabilité historique du mouvement écologiste est entière. Nous devons affirmer :
- Que la société autoritaire est un mal en soi : les libertés politiques, le droit à disposer de son corps ou l’encadrement de la puissance publique par le droit sont des composantes essentielles d’un monde vivable et parmi les premières cibles des régimes autoritaires ;
- Que la capacité de régimes autoritaires à résoudre la question écologique est un leurre : ils constituent des institutions façonnées par une surenchère de la force et de la puissance, incompatible avec toute forme de limitation. Leur maintien finit inévitablement par accentuer les logiques de prédation et de domination à l’œuvre sur les corps, les minorités et les écosystèmes.
Pour barrer cette voie éco-autoritaire, l’écologie politique doit sortir de plusieurs postures conduisant à la paralysie ou à l’inaction :
- Les discours scientifiques ne donnent pas “mécaniquement” la réponse aux problèmes politiques posés par les bifurcations écologiques en cours. Dire seulement que les politiques n’écouteraient pas assez les scientifiques, c’est refuser de dire qu’en réalité la politique ne s’attaque pas aux institutions responsables de la catastrophe. Octroyer la légitimité d’imaginer les solutions à la seule parole scientifique, évidemment indispensable, c’est miner celle de la délibération démocratique et renforcer, par exemple, le pouvoir de celleux qui prétendront demain détenir le monopole de la parole scientifique avec des dérives identifiées ;
- L’écosphère ne sera pas sauvée par l’effondrement “inévitable” du système en place, que ce soit par les contradictions internes du capitalisme, par chute du taux de rendement énergétique ou par baisse tendancielle du taux de profit. Ces effondrements, totaux ou partiels, de la civilisation thermo-industrielle sont attendus en vain depuis plus d’un siècle. Il n’y a, en matière proprement historique et politique, aucun événement écrit à l’avance.
· Approfondir la démocratie
A l’inverse, il s’agit de revendiquer la nécessité et la capacité d’un corps politique démocratique, dans un espace public démocratique, à s’auto-limiter et à transformer les structures sociales en cause. L’exercice de la Convention citoyenne pour le climat est un exemple riche de cette capacité à délibérer largement et à parvenir à des propositions ambitieuses, par consensus, en s’appuyant sur les connaissances scientifiques disponibles mais sans rien retrancher du rôle de la délibération politique.
Nous posons l’équivalence : nous voulons d’une société réellement démocratique, et pour cela il faut une société écologique ; nous voulons d’une société écologique, et pour cela il faut approfondir la démocratie.
La démocratie ne se décrète pas, elle se pratique par la délibération de la société pour elle-même et se soutient par des institutions favorisant les pratiques démocratiques, qu’il faut défendre et renforcer :
- La liberté de la presse, son indépendance, son pluralisme et la lutte contre la concentration des médias. En plus du soutien à un journalisme professionnel indépendant, le développement d’une presse citoyenne doit être soutenu pour enrichir l’espace public démocratique ;
- La liberté d’association : les associations sont l’un des principaux lieux d’exercice démocratique concret et sont menacées par la montée de l’autoritarisme (contrats d’engagements républicains, service national universel…)
- Un État démocratique, en particulier :
- Mû par l’intérêt public (publicisation du rôle des lobbys ; publicisation de la place du secteur privé dans l’élaboration, la mise en oeuvre, l’évaluation de l’action publique ; limitation stricte des mobilités professionnelles public / privé ; la réaffirmation des services publics comme outil prioritaire de l’action politique) ;
- Où la délibération est portée aux yeux du public (par exemple : en période de pandémie, les avis d’un Conseil scientifique doivent être systématiquement publics).
- Le renforcement de la séparation des pouvoirs et le rééquilibrage de ceux-ci : parlementarisation de la vie politique, fin de l’hégémonie présidentielle, alignement de la nomination des magistrats du Parquet sur ceux du siège ;
- Refuser l’État d’urgence permanent, évaluer les dispositions d’urgence installées dans le droit commun du point de vue du recul des libertés fondamentales ;
- Permettre l’appropriation collective de l’agenda politique, notamment par l’élargissement du référendum d’initiative partagée ;
- Élargir la communauté politique : reconnaître le droit de vote dès 16 ans, reconnaître le droit de vote des résidents étrangers ;
- Ramener la représentation du capital en minorité dans les prises de décision des entreprises ;
- Reconnaître que la participation de tou.tes à la vie démocratique nécessite des ressources et du temps ; mettre en place un revenu d’existence et la semaine de quatre jours ;
- Réguler la place des acteurs hégémoniques du numérique (GAFAM) dans l’espace public, étudier des formes de démantèlement de ceux-ci.
Nos adversaires nous collent l’étiquette d’une écologie “punitive”. Leur représentation de l’écologie ne peut se mettre en œuvre qu’en opposition aux libertés individuelles. Tout au contraire : nous voyons l’ampleur des bouleversements écologiques et des logiques de prédation à l’œuvre. Nous mesurons la difficulté des décisions à prendre – qu’est-ce qui est utile ? Qu’est-ce qui est superflu ? – et des transformations à conduire. Nous voulons donner à la société la capacité de décider, partout, pour elle-même, des réponses à apporter à ces immenses questions. En cela, l’écologie, c’est la démocratie. L’écologie, c’est la liberté.
Références
- L. Bantigny et U. Palheta, Face à la menace fasciste (2021)
- P. Charbonnier, Abondance et liberté (2020)
- A. Dubiau, Écofascismes (2020)
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