Laïcité, le consensus de la liberté
CONTRIBUTION POUR LE CONGRÈS 2022 D’EUROPE ÉCOLOGIE LES VERTS
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En préambule, nous vous invitons à parcourir ce rapide rappel chronologique de la laïcité en France depuis un siècle et demi.
“Une des grandes valeurs de la France“, “un joyau de la République”, “indissociable du féminisme”, voici par quels mots s’est exprimé l’attachement de notre mouvement à la laïcité lors de la primaire écologiste. Si cet attachement fait consensus au sein des écologistes, il nous apparaît important de redire nos priorités dans le débat actuel.
1- La laïcité : les principes partagés depuis 1905
Le principe de laïcité inscrit dans la constitution ainsi que dans la loi 1905 dispose que l’Etat ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. Le long processus de laïcisation de la France qui a commencé à la fin du XIXème siècle n’a pu être permis qu’à l’aune d’un consensus large au sein de l’Assemblée Nationale en 1905 et d’une longue période durant laquelle il ne s’agissait pas pour l’Etat de s’interposer en défenseur zélé du principe. Il aura donc fallu du temps, beaucoup de bienveillance et une grande tolérance pour permettre à la laïcité de s’imposer en France dans un contexte où la religion catholique était omniprésente et très puissante.
Dans sa lettre aux instituteurs du 27 novembre 1883 qui faisait suite à la laïcisation des programmes, Jules Ferry donne déjà la tonalité de ce que sera ce processus :
“Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu’où il vous est permis d’aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir. Au moment de proposer aux élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s’il se trouve à votre connaissance un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire.”
Avant même la loi 1905, les défenseur-se-s de la laïcité savaient bien que le processus serait long et nécessiterait beaucoup de pédagogie, d’inclusion et d’acceptation réciproque pour que la “fille aînée de l’Eglise” devienne laïque. Si bien que durant des décennies, le crucifix a persisté au murs de salles de classes dans certains endroits de France.
La laïcité est donc un processus qui nécessite autant le consensus que de la pédagogie.
2- Instrumentalisation et faux-débat
Au cours du XXe siècle et notamment à partir de la fin des années 80, la laïcité a fait l’objet de diverses falsifications, transformant l’objet politique émancipateur et protecteur en véritable arme en direction d’une partie de la population. Jean Baubérot, dans son ouvrage La Laïcité falsifiée, explique comment la droite et l’extrême droite ont détourné ce concept pour en faire une arme politique pour contraindre et stigmatiser une partie de la population : les musulmans, et en particulier les musulmanes.
Depuis quelques années, des groupuscules politiques issus de la gauche mais entretenant des relations avec la droite et l’extrême droite, se sont organisés pour développer une laïcité qui interdit l’expression de la religion et s’immisce dans des choix individuels. Cette lecture dénature ainsi les fondements-mêmes de la laïcité : la liberté de conscience et la neutralité de l’Etat.
Nous assumons une vision forte d’une laïcité issue du consensus de 1905. Une laïcité qui n’éprouve pas la nécessité d’être adjectivée, et qui se fonde sur la liberté absolue de croire ou de ne pas croire pour chaque citoyen-ne, la liberté de pratiquer son culte sous toutes formes et la neutralité de l’Etat et donc des fonctionnaires dans l’exercice de leur fonction.
Nous affirmons de surcroît, qu’en aucun cas, le principe de neutralité ne s’applique aux usager-e-s des services publics. Toute tentative de contraindre les citoyen-ne-s à la neutralité n’est en fait qu’une entorse au principe de laïcité.
3- Le cas des exceptions françaises à la laïcité : Concordat et outre-mer
Pour des raisons différentes, la loi 1905 n’est pas effective partout sur le sol français. En effet, il existe des exceptions notables comme celle du Concordat en Alsace-Moselle, ou celle des régimes spéciaux appliqués en Outre-Mer (Guyane, Mayotte, Nouvelle-Calédonie, Polynésie, Wallis-et-Futuna et Saint-Pierre-et-Miquelon). L’éventail des raisons pour lesquelles ces territoires n’appliquent pas les principes de la loi 1905 est important.
Pour autant, nous pensons que ce système d’exceptions à la laïcité n’a plus de raison d’être aujourd’hui.
L’État s’est organisé sur ces territoires par respect des traditions locales se dotant ainsi de compétences contrevenant aux principes de la loi 1905 le déclarant comme incompétent dans ces sujets.
4- Nos propositions pour défendre la laïcité
Nous proposons plusieurs solutions pour accompagner le renforcement du consensus social concernant la laïcité :
- l’Enseignement Moral et Civique et l’Histoire doivent permettre davantage l’enseignement du fait religieux, dans une perspective scientifique (historique et anthropologique).
- La lutte contre toutes les discriminations en raison de la religion – tant l’islamophobie que l’antisémitisme – et les tentatives de dévoiement et d’instrumentalisation de la laïcité. A ce titre, l’accès égal pour tous·tes aux services publics doit être garanti.
- L’abolition de tous les régimes spéciaux concernant les départements et régions de France pour les aligner sur la loi 1905 (Concordat et Outre-mers).
- L’absolue nécessité de respecter le principe de laïcité garantissant à tous-tes le droit de pratiquer son culte ou son absence de culte.
- La remise en place d’un Observatoire de la laïcité en France composé d’universitaires et de juristes pour défendre et promouvoir la laïcité partout.
Rappel chronologique
Fin XIXe siècle | Lois Ferry (1882) et Goblet (1886) : laïcisation de l’École par le personnel enseignant. |
1905 | Loi de séparation des Églises et de l’État. L’État se déclare incompétent sur la question religieuse. Mais il ne s’oppose pas à l’existence du religieux. Il l’organise même (aumônerie à l’école publique = libre exercice des cultes) |
1948 | Déclaration universelle des droits de l’Homme DHR – Article 18 : “Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites.” |
1958 | Constitution de la Ve République – Article 1 : “ La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée.” |
À la fin du XXe siècle, le débat se focalise sur le port du voile avec le développement de l’Islam en France.
1989 | Trois filles sont exclues de leur collège de Creil car elles refusent de retirer le voile. Jurisprudence du Conseil d’État de 1989 : le CE affirme que le port du voile islamique dans un établissement public est compatible avec la laïcité. |
2003 | Commission Stasi : qui débouche sur l’interdiction du port de signes ostensibles à l’École |
2004 | Loi interdisant le voile dans les écoles, collèges et lycées. Pour cette loi, le principe de laïcité est invoqué. |
2007 | Circulaire PM n° 5209 du 13 avril 2007 relative à la Charte de la laïcité dans les services publics. |
2010 | Loi interdisant le fait de se cacher le visage dans l’espace public. Le principe de laïcité n’est pas invoqué pour cette loi, car cela aurait été très probablement retoqué par le conseil d’État. |
2012 | Circulaire Chatel de mars 2012 (pas de voile en sortie scolaire) complétée par le conseil d’État. Invalidée par le TA jurisprudence. |