Solidarités et justice sociale, une bataille culturelle à mener pour les écologistes
· Fin du monde fin du mois, même combat
« La fin du mois a gagné sur la fin du monde » titrait, moqueur, le journal Les Échos en octobre 2021 pour annoncer le résultat de la primaire des écologistes. Cette opposition factice est un piège duquel l’écologie politique doit urgemment se sortir. L’écologie, la transition, la protection de l’environnement et l’adaptation aux changements climatiques ne se feront pas au détriment des populations, a fortiori des plus précaires. Mieux, celles-ci doivent être les premières cibles d’une transformation profonde vers une société écologiste.
Ce n’est qu’avec une justice sociale instituée, permanente et effective que nous rendrons possible, acceptable et réalisable la transition écologique. Car celle-ci impose de changer nos modes de vie donc d’importants et indispensables efforts collectifs pour surmonter le plus grand défi de l’humanité.
Cette justice sociale est un mode d’organisation de la société et de gouvernance basée sur la juste redistribution des richesses et la garantie d’une couverture de base des besoins des habitant.tes. Selon les ambitions politiques cette garantie peut être étendue, au-delà de la survie, à une base de vie confortable permettant, au-delà de la dignité des conditions de subsistance, l’épanouissement personnel, l’autonomie, la sérénité. La justice sociale peut (et doit) donc aller bien au-delà de la survie, jusqu’au bien vivre, jusqu’à l’écologie.
Si nous naissons « libres et égaux en dignité et en droits » (article 1er de la Déclaration universelle des droits de l’Homme), nous ne naissons cependant pas égaux en moyens, en sécurité familiale et affective, en héritage. Selon les conditions de notre naissance (famille, territoire), nous n’aurons pas les mêmes opportunités, capacités et conditions de santé au cours de notre existence.
Nous, écologistes, ne devons tolérer que ces hasards et opportunités fondent tout au long de la vie l’accès ou non à des conditions de vie décentes et suffisantes. Nous ne devons accepter que certains profitent des bienfaits de l’existence pendant que d’autres sont condamnés à la survie et à l’insécurité.
D’autant que nous savons que notre pays produit des quantités toujours plus importantes de richesses et de valeurs monétaires pendant que la pauvreté ne fait que croître depuis 15 ans et que les économistes montrent que depuis longtemps la croissance économique de notre pays n’a plus de lien avec celle des ménages.
· Pas de justice, pas de paix.
L’injustice, qu’elle soit réelle ou ressentie, est un facteur récurrent des conflits et des guerres. Lorsque les peuples sont laissés et lassés d’être relégués au rang de travailleurs pauvres et en constante fragilité se partageant des miettes. Mais aussi légitime que soit la révolte son issue est toujours incertaine. Lorsque des dirigeants inconséquents et dangereux désignent une partie de la population comme responsable de la misère d’un pays un sentiment de colère s’installe et fait monter la confrontation entre les personnes, allant de la stigmatisation (rejets des plus pauvres, des chômeurs désignés comme fainéants, assistés et profiteurs) et pouvant mener à la violence de la société et de ses dirigeants.
C’est une solidarité tronquée, parcellaire, exclusive et dévoyée qui est mobilisée dans les discours de l’extrême droite qui cherche à exciter les passions et les peurs à propos de certaines populations, de certaines religions et de certaines orientations sexuelles pour fédérer autour d’un projet de société profondément violent.
Lorsque des mesures contraignantes, au nom de l’écologie, viennent impacter douloureusement les populations déjà précaires, qui ne vivent de pas grand-chose, cela peut mener au rejet pur et simple de la cause écologiste et à l’embrasement, creusant encore le fossé entre le peuple et ses dirigeants, entre les populations aussi (crise des gilets jaunes déclenchée par l’augmentation du carburant dans le cadre des taxes TICPE sans mesures d’accompagnement).
L’injustice sociale, la non-régulation permet aussi à certains d’amasser toujours plus, de ghettoïser certaines parties de villes et d’abandonner d’autres territoires pour s’éloigner de la misère et s’offrir le confort visuel d’un entre-soi, multipliant les achats de terres et de résidences secondaires là où le confort climatique sera le meilleur pour eux. En somme, une sorte de paradis miraculeux qui permettrait à celles et ceux qui peuvent se le permettre, d’être à l’abri de tout cataclysme et de la réalité morbide des guerres de subsistance. Ces moyens mis de côtés au profit d’un petit nombre sont autant de moyens confisqués pour les services publics, les biens communs, la transition écologique et l’adaptation au changement climatique.
La justice sociale a donc un double objectif : réduire la pauvreté, mieux répartir les richesses.
Portons donc cette nécessaire instauration d’une justice sociale constituante de notre parti écologiste. Un parti qui sera sans concession dans la nécessaire régulation des inégalités, dans l’instauration des moyens de subsistance pour toutes et tous et pour la reconnaissance impérieuse de l’existence de biens communs. Ce n’est que par la défense des communs, des solidarités, de la justice sociale que nous pourrons sortir des systèmes de domination et de prédation qui permettent à certains de s’enrichir pendant que d’autres manquent de tout. C’est notre devoir en tant qu’écologiste.
· La solidarité comme fondement de la justice sociale
Puisque chaque ligne politique est basée sur un socle de valeur défendue, que trouve-t-on à la base de la doctrine de justice sociale défendue par les écologistes ? La volonté d’une société égalitaire et juste, qui ne peut reposer que sur un profond sentiment de solidarité et de cohésion entre les personnes.
Il ne s’agit ni d’aumône ni de charité, il s’agit de justice, de répartition, de partage et avant tout de coopération : Kropotkine a défini la coopération comme un mécanisme de survie pour les sociétés humaines dans leur processus d’évolution (Le mutualisme : un facteur d’évolution, 1902). Et c’est de cela que vont avoir besoin les peuples pour faire face au défi climatique : l’entraide et la coopération.
Depuis le sommet de Rio on parle aussi des solidarités intergénérationnelles, ces solidarités qui nous dictent de penser aux générations futures et à l’état de la planète et des ressources qu’on leur laisse en héritage. Cette solidarité intergénérationnelle interroge le prix de nos existences présentes pour les générations futures, particulièrement le coût environnemental de nos modes de vie.
Les solidarités internationales doivent aussi être développées au-delà d’aides ponctuelles, intéressées et opportunistes. La bifurcation écologique et les contraintes de pauvreté dépassent nos frontières. Un vrai budget européen et des aides au développement des moyens de la transition et d’amélioration des conditions de vie sont indispensables.
La solidarité doit donc devenir un thème intrinsèque à toute politique écologiste, puisqu’elle est nécessaire à l’organisation d’une société juste et équitable dont on ne pourra pas se passer pour enclencher sereinement, et dans un mouvement commun, tous les efforts à mettre en œuvre pour affronter les transformations de nos modes de vies.
· Révolution solidaire écologiste
L’établissement d’une société fondée sur la justice sociale permanente ne sera rendu acceptable que par une révolution culturelle d’ampleur : faire de la solidarité notre valeur sociale fondamentale, de l’entraide et du partage juste la base de toute décision.
Il est nécessaire de repenser profondément ce qu’est la solidarité et comment elle doit se manifester dans nos discours politiques, dans nos programmes et dans nos actions concrètes lorsque nous sommes en responsabilité.
Tout le monde est concerné
Tout le monde profite de la solidarité lorsqu’elle est instituée et nationale : la santé publique, l’éducation nationale, les infrastructures, l’accès gratuit à des travailleurs sociaux…
Il n’y a pas les bénéficiaires et les contributeurs des solidarités : c’est un schéma de la charité qui ne fait que conforter les populations dans leur classe et ne permet pas de voir l’entièreté du système de la solidarité.
En réalité, chacun.e peut, en fonction de ses moyens, de ses capacités et à différents moments de sa vie, être acteur ou actrice des solidarités par le partage d’une partie de ses ressources, de son savoir, de son temps ou de ses moyens.
Chacun.e peut avoir besoin de la société solidaire pour l’accompagner en raison d’une vulnérabilité importante qui instaure une fragilité constante (longue maladie, handicap, dépendance, absence d’appui familiaux, situation de migration) ou de plusieurs vulnérabilités qui viennent s’ajouter (perte d’emploi, séparation, décès d’un proche, addiction, isolement social). Ces personnes en situation de vulnérabilité ont besoin de la collectivité solidaire pour restaurer des éléments de sécurité dans leur vie qui leur permettra un retour progressif à l’autonomie ou qui leur procurera un accompagnement plus long pour éviter la mise en marge de la société, la dégringolade, le verrouillage des processus de précarisation, la mort sociale. Cela ne veut pas dire qu’iels ne peuvent pas être acteur.ices des solidarités aux moment de répit, de partage de ces périodes.
Tout le monde a à y gagner.
Vivre dans une société paisible et égalitaire peut finalement devenir l’aspiration du plus grand nombre. Si la capitalisation et la consommation sont devenues des buts pour beaucoup c’est en partie en raison du sentiment d’insécurité des lendemains et de la peur du déclassement que ressentent les personnes. La consommation et l’élévation sociale comme ou seuls rêves présentés aux classes les moins aisées : c’est aussi tout cela que renversera une révolution solidaire qui offrira d’autres imaginaires, d’autres fins au travail, à l’existence et à la coexistence.
Et c’est parce que tout le monde a à y gagner que nous devons rendre l’établissement d’une justice sociale à la fois exigeante et acceptable. C’est en somme le même schéma que pour la transition écologique. Cette transformation est donc l’affaire de toutes et tous. Nous le savons, la plupart de celles et ceux pour lesquels le système est fait, les privilégiés, la refuseront et la réfuterons, mais soyons la masse.
La solidarité n’est pas ponctuelle, la solidarité n’est pas émotionnelle
Nous devons sortir de cette spirale de la solidarité par l’émotion. Les élans de solidarité et d’entraide que nous observons lors d’événements impactant (dons de vêtements et d’argent pour les déplacés ukrainiens au moment de la guerre, dons d’eau et de matériel pour les pompiers lors des méga-feux…) ne sont ni pérennes ni structurants. Il n’est pas question de reprocher aux personnes de donner parce qu’elles sont émues ou concernées par une cause. Cependant les besoins sont souvent le résultat d’un désengagement grave de la puissance publique dans l’accueil, l’accompagnement des plus fragiles ou dans les dotations aux services sociaux et aux services publics.
Un système de solidarité ne peut reposer uniquement sur des choix personnels et ponctuels, sur la médiatisation d’une actualité ou la capacité d’une fondation à rendre « bankable » une cause.
Il est aussi nécessaire de rappeler que l’État dit « providence » n’est ni tombé du ciel, ni simplement rendu possible par une période économiquement favorable : Il est le résultat d’un choix politique d’investir dans la solidarité, de renforcer la cohésion sociale et de donner à chacun un socle de droits communs et d’accès à des conditions d’existence de base. Tout comme la nationalisation de certains secteurs et la désignation des biens communs ne sont pas des opportunités économiques mais les choix politiques d’investir sur de ce dont on ne peut se passer, de ce qui ne peut et ne doit être privatisé et auquel tout le monde doit avoir accès. Les politiques de solidarité et d’action sociale ne doivent plus être variable ajustable à la situation économique et présentées comme des dépenses rabotables en cas d’austérité. Le coût social, le coût humain et aussi le coût financier de la misère, qui sont considérables, doivent être les seuls coûts que l’on traque.
Exigeons l’extension et la sécurisation des biens rendus communs et publics, dont la charge comme la jouissance doivent être collectivement assumées.
Porter et incarner la solidarité
Battons-nous pour qu’elle soit, à égale mesure avec la protection de l’environnement, une valeur de base de notre pensée politique, de la construction de nos programmes, de notre fonctionnement de parti. Imposons la nécessité de prendre toutes nos décisions sur le double fondement de leur impact sur l’environnement et de la solidarité.
Informons, expliquons, informons, incarnons ces questions de justice et de solidarité. Trop souvent dans notre mouvement ces notions, pourtant largement partagées en toute bonne foi, sont malheureusement reléguées à quelques personnalités que l’on est fiers de compter dans nos rangs mais que l’on peine à relayer et appuyer. Ces notions si elles ne font pas partie du commun compris et incarnées par notre parti seront trop souvent abstraites, peu concrètes, mal formulées, mal présentes dans nos programmes, elles seront les premières à subir les concessions et reniements.
Nous ne sommes pas seulement dans la lignée d’un clivage droite gauche fondé principalement sur la taille de l’enveloppe, souvent trop modique, qui sera accordée à l’action sociale et à l’aide aux plus démunis. Nous sommes dans la révolution de la considération du rôle de la puissance publique, des collectivités, des budgets et des politiques vis-à-vis des politiques de solidarités.
Castoriadis écrivait « l’écologie est subversive car elle met en question l’imaginaire collectif qui domine la planète. Elle en récuse le motif central selon lequel notre destin est d’augmenter sans cesse la production et la consommation ».
Nous, écologistes, soyons subversifs.
· Nous ne sommes pas seulement dans la lignée d’un clivage droite gauche fondé principalement sur la taille de l’enveloppe, souvent trop modique, qui sera accordée à l’action sociale et à l’aide aux plus démunis. Nous sommes dans la révolution de la considération du rôle de la puissance publique, des collectivités, des budgets et des politiques vis-à-vis des politiques de solidarités.
Proclamons que nous défendons sans concession l’idée d’une société égalitaire, juste, fondée sur les solidarités : passer de l’accaparement des richesses à leur partage, tel est notre défi.
Proclamons que nous entrons en guerre contre le bâtisseur d’inégalités et les architectes de la pauvreté. Proclamons que nous ne laisserons plus les superprofits accaparer l’argent nécessaire à nos services publics et communs, que la vie digne, la subsistance, les moyens de l’autonomie et de l’épanouissement seront nos lignes directrices.
La solidarité est une valeur saine et primordiale pour reconstruire un sentiment de communauté de destins et un projet collectif d’organisation. Faisons-en le moteur de notre action pour affronter les défis écologiques, économiques et sociaux afin de rendre caduques les discours surannés et faussement rassembleurs des nationalistes, les récits patriotiques et identitaires, la réhabilitation d’un intérêt fantasmé du service militaire.
Au-delà des mots, faisons le pacte que notre mouvement ne s’arrêtera pas à des beaux discours et des bonnes intentions mais que les faits suivrons : Nous travaillerons à enclencher une révolution culturelle pour porter la valeur solidarité comme fondement de notre mouvement, Nous mettrons en œuvre sans relâche, à tous les échelons de gouvernance et de construction politique et dans toutes nos réformes les moyens d’une justice sociale basée sur les notions de solidarité et d’entraide pour renforcer en toujours la cohésion sociale, la coexistence et la subsistance de tous et toutes.
La solidarité ne doit plus seulement être une question de bonne volonté et une affaire de communautés ou de bon cœur, elle doit être une valeur de gouvernance incontournable. Nous agirons en tout temps et en tout lieu pour transformer la société sous le prisme des solidarités.